Chronique d'un emballement médiatico-politique.

Publié le par Erwann

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La hiérarchie de l'information est parfois assez surprenante. Et l'importance que prennent certains sujets peuvent l'être encore plus. Le plus souvent les événements se suivent sans qu'il n'en reste grand chose au bout d'une semaine. Mais parfois, dans ce flot d'informations, certaines prennent une importance qu'elles ne devraient pas.

Ces derniers jours, il semblerait que ce soit le cas de l'affaire concernant "l'imam" de la mosquée de Drancy (présenté comme imam dans les médias, il ne l'est cependant pas, il est président de l'association gérant la mosquée de Drancy). Selon l'information, un certain nombre de personnes, présentées comme membres d'un «commando islamiste», ont fait irruption dans la mosquée de Drancy à la fin de la prière du lundi soir, ont proféré des menaces de mort à son encontre et ont saccagé une salle avant de s'en aller.

En moins de 24h, la machine s'est emballée. Du maire de Drancy, à des députés, en passant par le président du Conseil Général de Seine-Saint-Denis et des ministres, les messages de soutien à l'égard de l'homme menacé se sont multipliés, les commentaires sur la nécessité de défendre les valeurs de la République également.

Hassen Chalghoumi, craignant visiblement pour sa vie, a porté plainte à la fin de cette folle journée pour «violence» et «menaces de mort» et a fait appel à des gardes du corps, auxquels s'est ajoutée une protection policière. Mais quelques heures plus tard deux autres plaintes étaient déposées, contre M. Chalghoumi cette fois-ci, pour «dénonciation calomnieuse» et «diffamation».

Ces plaintes émanent de personnes présentes ce soir-là, et qui se sont senties visées par les plaintes déposées par le président de l'association. On peut donc en déduire qu'elles faisaient partie de ce fameux «commando islamiste». Et à partir de là, une toute autre version des faits a commencé à circuler. Dans cette version, aucune menace n'a été proférée à l'encontre de M. Chalghoumi, qui n'était d'ailleurs pas présent à la mosquée de Drancy ce soir-là (ce qu'il a d'ailleurs fini par reconnaître à demi-mot).

Selon cette même version, corroborée par plusieurs témoins sur place (personnes que j'ai moi-même eu l'occasion d'interroger), des fidèles de la mosquée de Drancy ont voulu débattre après la prière des propos récents tenus par Hassen Chalghoumi, dans le Parisien entre autres, où il prenait position contre le voile intégral. Ayant joint par téléphone M. Chalghoumi, qui leur a répondu ne pas pouvoir être présent, ils ont discuté entre eux du sujet, sur lequel, toujours selon certains témoins, la majorité des personnes présentes trouvaient que ces positions n'étaient pas en accord avec l'Islam (en particulier concernant son soutien à une possible loi interdisant le voile intégral) mais aussi et surtout qu'ils lui reprochaient de s'être exprimé en se présentant en tant qu'imam de la mosquée, et donc au nom de toute la communauté musulmane de Drancy, et non en son nom propre. Ils demandaient donc avant tout qu'il s'exprime de nouveau pour bien préciser que ces propos n'engageaient que lui.

Dans les jours qui ont suivi, ils ont cherché à parler avec M. Chalghoumi qui, entouré de ses gardes du corps et policiers, n'était apparemment pas du tout tourné vers le dialogue avec, tout du moins, une partie de ses fidèles. Le sujet qui devient prédominant actuellement à la mosquée de Drancy est de savoir s'il doit continuer à être le président de l'association ou non, sachant que c'est justement à l'association qui gère le site d'en décider.

En tout juste 48h donc La situation est apparue nettement moins claire et radicale qu'elle ne le semblait au premier abord. Les dernières rumeurs autour de la mosquée de Drancy parlent d'un possible retrait de plainte de la part de M. Chalghoumi, plaintes qu'il aurait d'ailleurs déposé suite aux conseils de son entourage pour donner plus de poids à cette histoire d'intrusion dans la mosquée.

Il sera très certainement impossible de connaître le fin mot de cette histoire. S'il y a retrait de plainte, certains ne pourront s'empêcher de penser que c'était sous la pression. Dans tous les cas seules les personnes présentes connaissent la vérité. Et dans cette grande période de la communication (ou du grand retour de la propagande?), chacun continuera à défendre ses positions.

Ce qui est plus intéressant, c'est la manière dont l'information s'est propagée. Tout a commencé avec un communiqué, envoyé dans la nuit de lundi à mardi aux bureaux de l'AFP à Bobigny et à Paris par le BNCVA (Bureau National de Vigilance Contre l'Antisémitisme) parlant de l'irruption en pleine prière d'une centaine de musulmans radicaux s'en prenant aux fidèles et à M. Chalghoumi non seulement à cause de ses positions sur le voile intégral mais également du fait de ses bonnes relations avec les représentants de la communauté juive à Drancy (bonnes relations qui sont effectivement avérées).

Dans le but de recouper l'information, le conseiller de Hassen Chalghoumi a été contacté, qui pour sa part a parlé de 80 personnes et confirmé les faits décrits dans le communiqué du BNVCA, ajoutant qu'il y avait eu des destructions dans la mosquée, des propos insultants et des menaces de morts. C'est à partir de ce moment-là que l'expression «commando islamiste» est utilisée pour la première fois. Et que part la première dépêche décrivant la scène.

A partir de ce moment-là, pas moins de quatre dépêches traiteront du sujet, et de ses développements, dans la même journée, sans compter celles faisant état des réactions de politiques et des associations. Sauf que dans le même temps l'affaire semble se dégonfler peu à peu. Mardi dans la soirée le maire de Drancy, tout en s'inquiétant de l'existence de tels faits et en apportant son soutien à M. Chalghoumi, ne faisait plus état que de quelques personnes. En moins de 24h on était passé d'un «commando» d'une centaine de personnes à une poignée. S'ensuivit le dépôt de plainte croisée entre le mardi soir et le mercredi matin et pour finir les témoignages de témoins présents le lundi soir qui donnent une toute autre version des faits et jettent un certain discrédit sur le nouveau héraut de la République. Et sur tous ceux qui ont pris position pour le soutenir un peu précipitamment.

Ah oui, pendant ce temps, à Saint-Ouen, également en Seine-Saint-Denis et quasiment au même moment que la supposée intrusion dans la mosquée de Drancy, une jeune femme de 26 ans et son fils de 3 ans ont trouvé la mort dans l'incendie de leur appartement, se situant dans un immeuble insalubre appartenant à un marchand de sommeil, dans lequel les alarmes incendies étaient débranchées par souci de coût alors qu'environ 80 familles y vivent, le plus souvent dans des studios pour un loyer de près de 700€. Cela fait plusieurs années que l'association Droit au Logement tente d'alerter les pouvoir publics et d'obtenir l'expropriation de l'actuel bailleur, avec le soutien de la mairie depuis près de deux ans, sans succès. Mais cette fois aucun homme politique pour s'émouvoir du sort des deux victimes.

Publié dans Société

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