L'Algérie rattrapée par ses démons
Alors que peu d'informations filtrent concernant l'assaut de l'armée algérienne (est-il toujours en cours? Combien y a-t-il eu de victimes?) les critiques se font entendre dans la communauté internationale quant à l'option choisie par le gouvernement algérien de choisir la manière forte plutôt que les négociations. David Cameron, le premier ministre britannique, s'est par ailleurs ému de ne pas avoir été prévenu de l’imminence d'une attaque.
Ces critiques prouvent pourtant avant tout le peu de connaissance que ces pays ont de l'Algérie. Car les choix de ces dernières heures sont le fruit du passé récent du pays. La volonté farouche de défendre sa souveraineté nationale sans rendre de compte d'une part (conséquence de la guerre d'indépendance), celle de ne surtout pas montrer de faiblesse face aux mouvements islamistes d'une autre (conséquence de la guerre civile des années 90).
Bien que les preneurs d'otages l'aient revendiqué ainsi et que la concomitance des deux événements donnent ce sentiment, il est fort probable que cette prise d'otage dans l'est de l'Algérie n'ait que très peu de choses à voir avec l'opération française en cours dans le nord du Mali voisin. Il s'agit avant tout d'une affaire interne algérienne. D'ailleurs, un ministre algérien a dans un premier temps déclaré que les assaillants venaient de l'intérieur du territoire avant de finalement déclarer qu'ils provenaient de la Libye toute proche.
Le témoignage d'un des otages recueilli par le Monde ne laisse que peu de doute sur la question, ce dernier parle en effet de combattants qui connaissaient les lieux et savaient ce qu'ils faisaient, l'attaque a donc été préparé, des repérages effectués, ce qui prend tout de même plus d'une semaine pour ce genre d'opération. De plus, lorsque l'on connaît le niveau de sécurité en Algérie, tout particulièrement sur des structures aussi stratégiques que celles liée à l'exploitation gazière, il faut une excellente préparation pour mener à bien une telle opération. Il y a fort à parier que sans l'intervention française au Mali (et l'autorisation algérienne de survol du territoire national par des avions français) cette opération se serait tout de même déroulée.
Dans les faits, la guerre civile algérienne ne s'est jamais réellement terminée. Si la phase d'attentats sanglants que le pays a pu connaître au tournant du siècle ont fini par s'arrêter, l'armée algériene n'a jamais réellement réussi à mettre hors d'état de nuire des groupes islamistes armées qui sévissent sur le territoire. Tout juste a-t-elle réussi à les contenir dans le sud algérien, cette zone plus difficile à contrôler car permettant de passages faciles vers la Lybie, la Mauritanie et... le Mali.
Au cours des dernières années, l'Algérie a ainsi été la cible d'attaques régulières, bien que plus espacées que dans le passé, comme l'enlèvement de diplomates algériens dans le nord du Mali (toujours retenus par les groupes islamistes) ainsi que l'attaque d'une gendarmerie dans le sud du pays. Pour autant, réussissant à empêcher les attaques dans les grandes villes du nord tout en profitant de l'explosion des prix du pétrole et du gaz, le régime algérien a réussi à donner le sentiment de tranquillité et même de développement à une population qui n'attendait que ça après près de 10 ans d'atrocités (commises autant par les islamistes que par l'armée).
Aujourd'hui, cette prise d'otages (qualifiée de plus grande prise d'otages de l'Histoire) remet en cause cette construction mentale du gouvernement algérien. Car en s'en prenant à des installations gazières c'est un signal fort qui est envoyé par les groupes islamistes : ils s'attaquent à ce qui fait la richesse de l'Algérie (tout du moins d'un certain nombre de ces gouvernants) et montrent qu'ils n'ont pas peur de s'attaquer de front à l'armée. A une telle provocation, l'Algérie n'avait aucun autre choix que celui fait de donner l'assaut.
La conséquence est que l'Algérie risque de s'impliquer au nord Mali. Il est fort à parier qu'elle a compris le risque de laisser se développer plus longtemps une base arrière aussi importante où les mouvements islamistes algériens pourraient s'entraîner, être livrés en armes, etc. Avec l'instabilité importante de connaît la Libye depuis l'intervention pour en chasser Mouammar Kadhafi, l'Algérie ne peut pas se permettre de laisser une autre zone sans contrôle se développer à ses frontières.
Cette prise d'otages ne peut dans tous les cas que réveiller le spectre de la guerre civile, encore très présente dans la mémoire collective algérienne. Guerre civile qui aurait pu à l'époque être évitée si le résultat des élections de 1991 (les premières réellement libres en Algérie) avait été respecté et le pouvoir donné à la majorité qui en était sortie, dominée par le Front Islamique du Salut (FIS). La lourde responsabilité du FLN (dont est issu le président actuel Abdelaziz Bouteflika) en porte une lourde responsabilité. Il sera très intéressant de voir comment sera gérée cette nouvelle crise. Et si elle ouvre une nouvelle période de violences dont l'Algérie se serait bien passée.