Pessimisme, rejet et inquiétude, la société française se porte mal
Un récent sondage commandé à Ipsos pour le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et le Cevipof (Centre d'Etudes Politiques de Scienco Po) dresse un portrait plus que négatif de la société française dans son ensemble, caractérisée par un rejet général. Rejet des politiques, du monde médiatique, de l'Islam, repli face à l'Europe, à la mondialisation. Une société qui doute d'elle-même et se ses propres capacités.
Les inquiétudes sur la puissance économique de la France et concernant son influence culturelle sont très fortes. Pour 90% des personnes interrogées, la puissance économique française a légèrement ou fortement décliné sur les 10 dernières années. Pourtant, si l'on se penche sur les chiffres de l'INSEE, le PIB a progressé entre 2000 et 2011 d'une moyenne de 1,4% par an, la richesse de l'économie française a donc progressé, même depuis le début de la crise en 2008. Peu importe également si en 2012 la France est toujours classée selon l'ONU comme la 5ème économie mondiale en terme de PIB. Peu importe qu'un certain nombre de grandes entreprises françaises annoncent année après année des bénéfices records. Le traumatisme du déclin de l'industrie automobile, l'instillation dans les mentalités de la situation de crise par la répétition de ce fait dans le discours médiatique, la baisse réelle du pouvoir d'achat sur les 10 dernières années, créent le sentiment d'une économie qui s’appauvrit, masquant au passage les vraies raisons de ces situations.
Quant au déclin culturel, il est dans les faits lui aussi très relatif, si l'on considère la croissance positive du nombre d'entrées des films français à l'étranger ces dernières années, l'augmentation sensible des ventes musicales hors de nos frontières ou la stabilité (il est vrai relative si l'on regarde son évolution d'une année sur l'autre) du marché des programmes audiovisuels à l'exportation, les chiffres ne plaident pas en faveur d'un déclin. De même, le livre français s'exporte plutôt bien, avec une hausse de 13% entre 2000 et 2010.
Après plus de 10 ans d'un discours stigmatisant envers l'Islam, il aurait été surprenant que celui-ci ne s'enracine pas dans la société. Et la conséquence est nette: pour près de 75% des personnes interrogées l'Islam est une religion d'intolérance, et près de la moitié des sondés voient les musulmans comme étant en majorité ou en partie intégristes. Que signifie être intégristes pour eux? Aucune réponse n'est bien entendu donnée. En revanche cela démontre d'une part d'une méconnaissance profonde de la réalité de l'Islam en France tout comme cela met en avant l'efficacité de la répétition du message médiatique désignant les musulmans dans leur ensemble comme une menace récurrente pour le monde occidental.
Et pourtant, dans le même temps, jamais la défiance n'a été aussi forte à l'encontre des médias. On entre d'ailleurs ici dans l'un des paradoxes qui traverse la société française avec d'un côté un rejet de plus en plus marquée de la parole médiatique, considérée comme biaisée, partisane, pour ne pas dire mensongère dans certains cas, alors que d'un autre côté jamais l'audience des chaînes d'info en continu ou des émissions radios consacrées à l'actualité n'ont été aussi fortes et leur discours à ce point répercuté. Comment un tel rejet des médias peut-elle entraîner malgré tout une telle reprise sans réserve des discours qui s'y développent? C'est l'une des principales questions que soulève cette étude.
Le rejet est sans doute encore plus fort concernant la classe politique. A plus de 80% les sondés considèrent que le personnel politique agit avant tout dans son propre intérêt plutôt que dans l'intérêt général. Pire, ils ont 72% à avoir leur sentiment que leurs idées ne sont pas représentées et que le système démocratique fonctionne plutôt mal. Le sentiment qu'en plus les frontières entre les familles politiques se sont brouillées mais également que la rupture ne se fait pas lorsque l'alternance a lieu renforcent encore cette défiance à l'égard des politiciens. En parallèle, semble se renforcer l'appel d'un chef, pour «remettre de l'ordre». Comme le souligne l'article du Monde présentant tous ces résultats, tous les ingrédients d'un populisme massifs sont là, avec le risque d'une répétition de l'Histoire qu'on ne peut que souhaiter ne pas voir.
Mais il pose également de vraies questions, sur la perception du monde politique en particulier. Car si on peut certainement imaginer sans peine que le «tous corrompus, tous pourris» n'est pas la norme dans les faits, il est certain que depuis une bonne dizaine d'années, l'impression de voir les politiques travailler à protéger certains intérêts particuliers au détriment de l'intérêt commun est l'une des causes de ce rejet massif.
De la même manière, la façon qu'on un certain nombre de nos élus de considérer la démocratie, pour qui elle ne s'exprime qu'au moment des élections mais pas plus loin, ne peux que donner l'impression que le système marche mal. Au lieu de cela on entend des élus, de tout bord, parler de ne pas «céder à la dictature du peuple» si ce dernier exprime en dehors des temps électoraux un rejet d'un choix, oubliant parfois le sens même du mot démocratie.
Il serait aisé pour chacun de ne pas accepter sa part de responsabilité et d'imaginer une telle situation comme la conséquence logique de la crise que traverse le pays et des difficultés quotidiennes pour un certain nombre de ses citoyens. Si un tel choix aurait l'avantage pour beaucoup d'éviter une remise en question qui leur serait pourtant salutaire, il aurait l'inconvénient de ne pas répondre réellement aux causes et ainsi de ne pas proposer les bonnes solutions. Car entre les discours stigmatisants, l'absence de courage politique, le manque de mise en perspective, les causes d'une telle défiance sont multiples. Et les raisons pour la classe politique et le monde médiatique de se remettre en question sont nombreuses. Car plus qu'une crise sociétale, c'est une crise de gouvernance qui dure depuis le début du XXIème siècle qu'une telle étude met en avant.