Mali, la nouvelle "guerre contre le terrorisme"

Publié le par Erwann

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Difficile de se faire une idée précise de cette guerre au Mali. Peu d'images sur place, aucun journaliste présent dans le nord du pays. Les seuls témoignages sont recueillis par téléphone le plus souvent, auprès d'habitants des zones occupés par les mouvements islamistes, ces mouvements «terroristes» qui par leur offensive vers Mopti ont provoqué la réaction française.

Une chose est certaine en revanche, François Hollande serait déjà le grand vainqueur si l'on en croit le Monde et sa une. Seulement 5 jours d'offensive mais bien entendu cela est bon pour l'image du président, selon le journal de référence. Qui l'a décidé ? Très bonne question. La reprise de ce point de vue dans les médias concurrents aura certainement pour conséquence de voir la cote de popularité de l’exécutif remonter en flèche. Se pose nécessairement la question de savoir si c'est parce que les médias vont commencer à le dire que cela deviendra réalité ou si c'est parce que c'était une réalité et que le frémissement a été senti jusque dans les bureaux du service politique des rédactions.

Première certitude : la simultanéité des opérations au Mali et de la tentative de libération de l'agent de la DGSE retenu en otage depuis plus de 3 ans a totalement permis de passer sous silence le fiasco de cette opération. Elle a également le mérite de ne pas braquer les projecteurs sur les accords signés entre le Medef et trois des cinq principales centrales syndicales et dont les conséquences pour les salariés risquent d'être importantes. Hasard (réel) du calendrier qui, d'un point de vue politique, n'est malgré tout pas négatif pour l'éxécutif.

Fallait-il intervenir au Mali ? Oui sans doute mais peut-être pas. Aucune réponse définitive en effet à cette question. Car dans la crise malienne se mélangent de nombreux ingrédients qui rendent la situation complexe à démêler.

Le Mali présentait tout d'abord la particularité d'être considéré comme un exemple de démocratie dans la sous-région, marqué par une stabilité et une alternance politique et l'absence de conflit depuis très longtemps. Pour autant tout n'était pas parfait puisque les Touaregs, présents majoritairement dans le nord, avaient le sentiment de ne pas être pris en compte par le reste du pays, qui contrôlait l'appareil d'état. Un mouvement de résistance appelant à l'indépendance du nord Mali s'est créé, avec des revendications qui peuvent paraître comme parfaitement légitimes.

Ces mêmes Touaregs, présents dans l'ensemble du Sahara, étaient employés par Mouammar Khaddafi comme troupes auxiliaires, troupes d'élites ou mercenaires, avant la chute de son régime. Chute de régime qui a entraîné la mise en circulation d'un arsenal très important et souvent de qualité, qui a été employé par les mouvements islamistes afin de prendre le contrôle du nord Mali il y a quelques mois. Il est clair que le conflit libyen et la volonté de renverser par tous les moyens possibles le régime de Khaddafi a eu des conséquences importantes sur l'équilibre de l'ensemble de la sous-région.

De l'autre côté, les mouvements salafistes présents au nord Mali, GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, officiellement dissous), AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), qui sont majoritairement Algériens, et Ansar Eddine et le MUJAO (Mouvement Unicité et Djihad en Afrique Occidentale), pour leur par Touaregs (Maliens et Mauritaniens) sont en grande partie financés, comme bon nombre de mouvements salafistes dans le monde arabe, par les monarchies pétrolières du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête. De quoi disposer d'énormes moyens pour financer l'achat d'armes.
Même s'ils ne sont pas extrêmement nombreux (leurs effectifs sont évalués à une fourchette de 2000 à 3000 hommes environ, sans doute un peu plus), ils sont bien mieux équipés que l'armée malienne, laquelle a par ailleurs perdu certaines de ses troupes d'élite au moment de l'occupation du nord Mali, ces unités étant composées majoritairement de... Touaregs.
La complexité de la situation malienne est renforcée par le nombre d'intervenants, direct ou non. En dehors de la France et, bien entendu, du Mali, était attendue une coalition ouest africaine agissant sous mandat de l'ONU et qui devait aider l'armée malienne à reprendre le contrôle du nord du pays. Petit problème cependant : aucune des armées du la sous-région n'était apte à intervenir immédiatement. La nécessité de formation et d'équipement de ces troupes repoussait toute intervention à septembre 2013, au mieux. L'urgence nouvelle de la situation empêchait une opération uniquement africaine.

Et cela d'autant moins que les seules «vraies» armées de la zone, mauritanienne, tchadienne et surtout algérienne, n'étaient pas impliquées dans l'opération, par volonté politique locales. En effet, la Mauritanie, tout comme le Niger à l'est, doit de son côté déjà gérer un problème quasiment similaire de présence de groupes salafistes sur son sol (même si la situation est loin d'être aussi difficile qu'au Mali), tandis que le Tchad a subit une relative destabilisation du fait du conflit en Libye voisine.

Reste l'Algérie, qui aurait largement eu les moyens d'intervenir, ce qui aurait pu au passage lui donner une stature de puissance régionale qu'elle ambitionne depuis un moment. Pourtant, bien que n'ayant à première vue rien à gagner à laisser se développer un «sanctuaire islamiste» (pour reprendre l'expression médiatique en vogue) à ses frontières, elle n'est pas intervenue, militairement tout du moins. On peut en revanche imaginer qu'elle avance ses pions en sous mains puisqu'un accord entre le MNLA et Ansar Eddine a été signé à Alger, dans lequel les deux groupes (le MNLA avait été marginalisé par les salafistes après la conquête du nord Mali) acceptent l'idée d'une négociation commune avec le gouvernement malien afin de trouver une sortie de crise politique.

De l'autre côté, il est acquis que les mouvements salafistes viennent se ravitailler en carburant dans le sud algérien. Même si cette zone n'est pas facilement contrôlable, il est impensable que cela se fasse sans un laisser faire plus ou moins volontaire de l'état et de l'armée algérienne. Par ailleurs, tout en dénonçant l'intervention «colonialiste» de la France, le gouvernement algérien a autorisé les avions français à survoler le territoire algérien, route la plus direct pour intervenir au Mali. De là à penser que l'Algérie joue un double jeu dont il est difficile de saisir encore les intérêts...

Plus que jamais, le conflit malien est représentatif de ce que sont et seront les conflits actuels et à venir, des conflits aux multiples intervenants, plus ou moins affirmés et jouant parfois un double jeu qui complique encore plus la lecture et la compréhension des éléments en présence. Il est également fort à parier que nous aurons affaire à un conflit qui risque de s'installer durablement, sous différentes formes, et dont il sera très difficile pour la France de s'en sortir. Quant aux conséquences sur la sécurité, difficile là encore d'imaginer quoi que ce soit, si ce n'est une réalité, le plan vigipirate renforcé ne risque pas d'empêcher la moindre attaque si celle-ci n'est pas anticipée par les services de renseignement.

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