Mort de Ben Laden, la fin du Frankenstein américain

Publié le par Erwann

 

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Quasiment 10 ans après les attentats du 11 septembre, qui avaient fait près de 3.000 victimes et traumatisé durablement les Américains, le principal instigateur présumé, Ousama Ben Laden, a donc été tué lors de l'assaut de sa résidence, dans le nord du Pakistan.

Il est amusant de constater que, contrairement à ce que l'on a pu imaginer depuis de nombreuses années, en particulier après l'assaut des désormais célèbres grottes de Tora Bora, Ben Laden ne vivait pas caché dans des grottes aux confins de la zone tribale à cheval entre Afghanistan et Pakistan, mais dans une résidence de trois étages, sécurisée, avec sa famille et celle d'un de ses frères, tout près du Cachemire pakistanais, non loin de la capitale, Islamabad. Cette situation géographique pose d'ailleurs la question de l'implication de certains services de l'État pakistanais, on pense en particulier aux tous puissants services secrets, sorte d'État dans l'État, qui ont toujours joué un jeu trouble depuis le début de la guerre en Afghanistan.

En revanche, contrairement aux théories du complot naissantes, il n'est quasiment pas utile de s'interroger sur la véracité de cette information. Ousama Ben Laden est mort, cela ne fait quasiment aucun doute. Non pas parce que les Américains affirment en avoir la preuve via des tests ADN pratiqués sur la dépouille peu avant que cette dernière soit immergée dans le golfe d'Oman, mais tout simplement parce qu'ils l'annoncent. Il serait en effet beaucoup trop risqué de leur part d'annoncer la mort d'un tel personnage si cela n'était pas avéré. Pour la CIA, déjà durement ébranlé par son manque d'anticipation de l'attaque contre le WTC en 2001, ce serait un coup quasi fatal. Pour l'armée américaine cela brouillerait un peu plus son image déjà écornée par les guerres non gagnées d'Irak et d'Afghanistan. Pour Barack Obama enfin, qui a fait l'annonce en direct sur les chaînes de télé américaines, ce n'est ni plus ni moins que sa réélection qui est dans la balance. Un coup politique qui aurait un coût bien trop important s'il s'avérait faux.

On peut cependant regretter que le désormais ancien chef d'Al Qaeda n'ait pas été pris vivant. Les circonstances de l'assaut de la villa sont encore assez peu connues, les grandes lignes elles le sont. On sait que les Navy Seals (les commandos de marine américains) ont du fait face à une résistance, il semblerait que Ben Laden soit d'ailleurs mort l'arme à la main, ce qui aura de quoi affermir un peu plus sa légende auprès de ses supporters. Mais est-ce que tout a été entrepris pour le prendre vivant? Car contrairement à ce qu'on a pu entendre, en particulier de la part de l'Élysée, justice n'a pas été rendu, car justement la justice n'a pas pu faire son travail. Un procès aurait bien entendu été une tribune pour un personnage tel qu'Ousama Ben Laden mais il aurait aussi permis de démontrer que les États-Unis sont, malgré toutes les attaques qu'ils ont subit cette dernière décennie, une démocratie forte où le droit à un procès équitable est acquis pour tous. Un signal fort envoyé aux pays musulmans qui vivent depuis le début de l'année un bouleversement politique majeur.

La mort d'Ousama Ben Laden est bien entendu l'occasion de revenir sur ce qu'a été sa vie. Une vie qui n'aura laissé quasiment personne indifférent, son image allant de celui de héros (et héraut) à ennemi public numéro un selon les points de vue.

Le plus intéressant est sans doute de constater l'évolution de ses relations avec États-Unis. A ce niveau d'ailleurs on peut voir une proximité très forte avec la situation de Saddam Hussein, grand ennemi de la famille Bush. Car en effet, comme l'ancien dictateur irakien, Ben Laden a dans un premier temps été vu comme un allié avant d'être vu comme un ennemi. Comme Saddam Hussein lors de la guerre Iran-Irak, dans les années 80, Ousama Ben Laden a bénéficié d'un soutien sans faille de la part des Américains lorsqu'il a créé sa brigade de volontaires arabes afin de lutter contre l'Armée Rouge lors de l'invasion de l'Afghanistan en 1979. Durant cette période et jusqu'à la fin de cette énième guerre d'Afghanistan, Ben Laden reçut quantité d'armes et un financement non négligeable de la part de la CIA. Tout s'est arrêté d'un coup en 1989 avec le retrait soviétique, créant un ressentiment certain chez Ousama Ben Laden.

Mais la dégradation des relations est surtout à situer au début des années 90, lors de la première guerre du Golfe. Cette dernière, qui opposa l'Irak au reste du Monde grosso modo, nécessita l'installation de militaires occidentaux, et tout particulièrement américains, sur le sol sacré d'Arabie Saoudite. C'est ce que Ben Laden ne pardonnera jamais à la famille royale. Et l'installation à demeure de troupes américaines augmentera ce ressentiment.

Pour lui, aucun doute les États-Unis veulent créer un empire dans le monde arabe. Les causes de l'existence d'Israël et le peu d'empressement des Américains à imposer une solution politique au conflit israélo-palestinien en sont de nouvelles preuves. Dès lors Ben Laden (dont la famille est l'une des plus riches et des plus puissantes d'Arabie Saoudite) décide d'organiser la résistance face à ce qu'il considère être une nouvelle Croisade.

Dès lors commence une série d'attaques contre les Etats-Unis. Parmi les plus connus attribués à Ben Laden, directement ou indirectement, se trouve la première attaque contre le World Trade Center, en 1993. Des camionnettes piégées explosent ce jour-là dans les parkings souterrains situés sous les deux tours. Si ces dernières résistent aux explosions il y aura tout de même 5 morts.

S'ensuivent une série d'attaques hors des États-Unis mais contre des symboles américains: attaque contre la base américaine de Khobar en Arabie Saoudite en 1996 (19 morts, tous américains), double attentat contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar Es Salam en 1998 (224 morts dont 12 américains), attaque au bateau piégé contre le navire de guerre USS Cole dans le port d'Aden en 2000 (17 morts, là encore tous américains) et enfin donc, les attentats du 11 septembre, qui donneront à Ben Laden une renommée mondiale.

Entretemps ce dernier, persona non grata dans son pays natal, s'installe d'abord au Soudan, d'où il est chassé après une attaque américaine contre une usine en 1998, puis en Afghanistan, profitant du contrôle quasi total que les Taliban exercent alors sur le pays. La cause de la guerre d'Afghanistan actuel se trouve là et 10 ans plus tard sa justification se retrouve donc au fond de la mer.

Après le 11 septembre Al Qaeda devient le fantasme occidental, l'ennemi insaisissable qui est partout à la fois: attentats en Tunisie, au Maroc, à Bali, à Londres et Madrid, avant son arrivée sur le territoire irakien dans la foulée de la dernière guerre d'Irak. Nombreux sont les terroristes extrémistes qui se réclament de l'organisation de Ben Laden, laquelle devient une sorte de franchise façon Mac Donald's version attaques à la bombe. Pour Ousama Ben Laden, soutenir toutes ces attaques est le meilleur moyen d'une part de renforcer la volonté de tous ceux qui veulent installer des républiques islamiques dans les pays arabes tout en fragilisant chaque fois un peu plus les fondations des régimes occidentaux qui, pour se défendre, n'hésitent pas à remettre en cause leurs propres principes.

Aujourd'hui donc Ben Laden n'est plus. Comme de nombreux commentataires l'ont rapppelé avec raison cela ne signifie pas pour autant la fin d'Al Qaeda puisque Aymen al-Zawahiri, l'adjoint d'Ousama Ben Laden, était déjà en charge des opérations depuis plusieurs années. La vague de révolutions dans le monde arabe affaiblit bien plus les groupes extrémistes que la mort de Ben Laden, laquelle pourrait au contraire les renforcer en leur offrant le martyre suprême. Cela changera-t-il en revanche l'approche des pays occidentaux? Il faut le souhaiter car depuis 2001 la peur du terrorisme, la volonté farouche de lutter contre ont créé les conditions nécessaires à la remise en cause de nombre de libertés fondamentales, dont le Patriot Act américain ou les LOPPSI françaises sont un excellent exemple. La disparition de «l'ennemi public numéro 1» aura-t-elle l'effet inverse?

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