Le suicide politique de François Bayrou, vraiment?

Publié le par Erwann

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Le moins que l'on puisse dire c'est que l'annonce de François Bayrou au lendemain du débat présidentiel et son choix personnel de voter en faveur du candidat socialiste n'a laissé quasiment personne indifférent de le petit monde médiatico-politique. Si à l'UMP, et c'est de bonne guerre, on a minoré l'importance de ce «ralliement» alors qu'au PS on s'en est réjoui, c'est avant tout dans les médias que les commentaires ont été les plus nombreux.
Du «franchissement du Rubicon» pour le Monde au «suicide politique» annoncé vendredi matin sur BFMTV, chacun a noté l'importance de ce moment dans la vie politique française, avec plus ou moins de neutralité.
Pourtant, contrairement à ce qu'annonce l'analyste politique de la chaîne d'info en continu, il ne s'agit bel et bien pas d'un suicide politique mais de la dernière étape de recentrage entamée par François Bayrou en 2007. Si, il y a 5 ans, celui-ci n'avait pas été au-delà de l'annonce d'un vote blanc, il ne faut pas pour autant voir dans le choix de cette année un rapprochement durable entre la gauche et le centre. Ce que le président du Moden met à présent en place, c'est l'idée qu'il existe définitivement une force au centre de l'échiquier politique, qui n'est arrimée à aucun des deux grands partis actuels mais avec lesquelles il peut  s'allier de manière circonstanciée.
En agissant de la sorte, il prend une distance définitive avec l'UMP en démontrant que le temps ou le centre suivait (parfois aveuglément) la politique du parti de droite est révolu. Il agit de manière extrêmement conditionnelle avec le PS, rappelant de manière très claire qu'il ne vote pas pour un projet mais contre un candidat. Une façon pour lui de bien garder ses distances avec la gauche.
Car il ne faut pas se tromper. Si,  dimanche, François Bayrou votera pour François Hollande,  c'est avant tout pour faire barrage à Nicolas Sarkozy. Les trois hommes politiques sont de la même génération, se connaissent et se côtoient depuis très longtemps. À la fin des années 80 et au début des années 90, le président de la République et celui du Modem étaient d'ailleurs (à l'époque au RPR et à l'UDF) considérés comme les étoiles montantes de leurs partis et déjà ministres (dans le même gouvernement d'ailleurs). Mais les affinités n'ont jamais été très fortes. Et à mesure que Nicolas Sarkozy gravissait les marches vers le pouvoir, les oppositions entre les deux hommes se sont multipliées.
Mais le coup de grâce, si l'on peut dire, aura été la dérive vers l'extrême droite menée par le président sortant depuis 5 ans. A mesure que l'influence de Patrick Buisson (conseiller du président et ancien rédacteur en chef du journal d'extrême droite Minute) a grandi auprès de l'actuel candidat UMP, ce dernier a radicalisé son discours. Basant, comme lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, sa présidence sur la lutte contre la délinquance et l'immigration (avec un succès extrêmement relatif dans les deux cas) et multipliant les propos stigmatisants, Nicolas Sarkozy a eu la mauvaise surprise de ne pas retenir l'électorat FN qu'il pensait avoir capté en 2007. Et pour le récupérer, il est, depuis une dizaine de jours, prêt à aller encore plus loin dans la rhétorique FN. Cela aura été la goutte d'eau pour François Bayrou.
Ce dernier l'a dit clairement, c'est sur les valeurs qu'il a pris sa décision. Alors qu'il y a encore quelques jours, les valeurs et le programme défendus par les deux finalistes devaient être les deux éléments majeurs de sa réflexion, selon ses dires, de l'avis de tous ses proches, la question des valeurs a pris une importance prépondérante à mesure que le candidat UMP multipliait les signaux vers les électeurs de Marine Le Pen.
Pour un européen convaincu tel que François Bayrou, les nombreuses attaques contre l'Union Européenne et la remise en cause du traité de Schengen ne sont pas acceptables. Mais plus encore, pour un démocrate chrétien, catholique pratiquant qui plus est, stigmatiser certaines catégories de la population, tenter de la diviser, montrer du doigt des communautés, sont autant d'éléments inacceptables, et plus encore dans la bouche d'un président de la République.
Reste la question donc du «suicide politique». Celui-ci est plus que relatif. En fait, il s'agit d'un pari. Celui de reconstituer cette fameuse force du centre dont il rêve de prendre enfin la tête. Cela ne serait qu'un retour à une réalité politique très française : jusqu'à il y a une quarantaine d'années, les centristes, à l'époque le parti Radical, étaient l'une des principales forces politiques du pays. Sous la IVème République, ils étaient même quasiment de tous les gouvernements.
François Bayrou fait, tout comme Marine Le Pen, le pari de l'implosion de l'UMP après la défaite de Nicolas Sarkozy aux présidentielles. Défaite qui devrait, selon toutes probabilités, être suivie par une autre en juin prochain, aux législatives. L'un comme l'autre espèrent profiter du climat délétère qui devrait imprégner le parti présidentiel pour récupérer les mécontents. Les centristes, lassés du discours extrême, pour François Bayrou, l'aile dure, qui juge l'UMP trop faible, pour Marine Le Pen. Une possible recomposition du paysage politique français risque d'être en marche après les élections.
C'est d'ailleurs également une crainte à l'UMP. Les récentes déclarations de plusieurs ténors du partis (les commentaires en faveur des syndicats de François Fillon, les inquiétudes exprimées par Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin) en sont la parfaite démonstration. Même Jean-François Copé, actuel président de l'UMP, cherche à anticiper ce risque en proposant la création de mouvements au sein du parti, un moyen de permettre aux sensibilités diverses de s'exprimer sans qu'elles aient besoin de quitter le navire.
Le pari est donc osé. S'il est possible que François Bayrou n'en récupère pas les bénéfices dans un avenir très proche, à moins que les choses ne bougent très vite à l'UMP avant les élections législatives, ses chances d'atteindre son objectif, à savoir disposer de suffisamment de députés pour créer un groupe parlementaire, sont encore réduites. Mais à moyen terme, il assoit sa légitimité sur le centre et démontre que non, la vie politique française n'est pas, ou n'est de nouveau plus, bipolaire.

Publié dans Politique

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J
Bonjour Erwann Bien vu ! Je crois en effet que Bayrou voit plus loin que le dimanche 6 mai. J'avais peur qu'une nouvelle fois il appelle à voter Sarko. Ce qui était moralement impossible où alors<br /> il reniait toutes les valeurs qu'il défendait dans sa campagne. Cette fois il est cohérent. La reconquète d'un centre organisé, jusqu'à un groupe à l'assemblée n'est sans doute pas imminente mais<br /> ce sera son projet avant d'être à nouveau candidat en 2017. Mais moi je ne serai sans doute plus là pour le voir ... A moins que... J.B.
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