le fantôme Strauss-Kahn inquiète la droite

Publié le par Erwann

 

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Depuis plusieurs semaines, Dominique Strauss-Kahn est la cible préférée d'attaques diverses, provenant du Front de Gauche comme de l'UMP. Ce feu nourri à l'encontre d'un candidat non déclaré pourrait surprendre mais trouve son origine dans les excellents scores obtenus par le directeur du Fonds Monétaire International dans les différentes enquêtes d'opinions qui ne cessent de se multiplier au cours de cette année pré-présidentielle. Elles ont également pour objectif de jeter DSK dans la bataille, en tentant de décrédibiliser sa candidature avant même qu'elle ne soit annoncée, pour au final le faire renoncer.

Si les attaques provenant de Jean-Luc Mélenchon n'ont rien de très étonnant en tant que telles (reprocher à l'actuel directeur du FMI de n'être qu'un représentant du Grand Capital très éloigné des idées que devrait défendre la gauche dans son ensemble n'a rien de bien choquant de sa part), celles provenant de l'UMP sont plus curieuses, en particulier la sortie de Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, dans laquelle il reproche à M. Strauss-Kahn de ne pas pouvoir incarner «l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle à laquelle je suis attaché».

Il serait difficile de remettre en cause l'attachement réel de M. Jacob pour cette «France rurale et des terroirs», un ancien éleveur, ancien président des Jeunes Agriculteurs (branche «jeunes» de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire). En revanche, ce genre de remarque peut sembler déplacée lorsque l'on prête attention au CV du président de la République, que M. Jacob cherche à protéger à travers cette attaque à l'encontre de celui qui est en bonne position pour le battre.

Car force est de constater que cette «France rurale, France des terroirs et des territoires» n'est pas à proprement parler quelque chose que M. Sarkozy connaît particulièrement. Pire, c'est loin d'avoir été son cheval de bataille au cours de sa carrière politique.

Celui-ci est né dans le XVIIème arrondissement de Paris, où il a été élevé avant que sa mère ne s'installe à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), ville dont il deviendra plus tard maire et député. On peut difficilement parler ici de cette France défendue et honorée par M. Jacob. De par ses amitiés (Martin Bouygues ou Bernard Arnault, présidents respectifs des groupes Bouygues et LVMH, étaient les témoins lors de son mariage avec sa seconde épouse, Cécilia, voyage avec le jet privé puis sur le yacht de Vincent Bolloré, président du groupe du même nom lors de son élection), M. Sarkozy s'est créé un réseau important au plus près du pouvoir économique mais bien loin de cette «France d'en bas» dont parlait l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

Mais plus que tout, ce sont par ses références, base de son idéologie, que Nicolas Sarkozy est très éloigné de la France de Christian Jacob. Le président de la République ne s'en est jamais caché, la modèle qu'il admire se trouve de l'autre côté de l'Atlantique, et plus particulièrement dans les Etats-Unis du début des années 80, période durant laquelle le président d'alors, Ronald Reagan, jettera les bases de l'ultra-libéralisme économique et d'une limitation de l'interventionnisme d'Etat. Par la suite, à chacune de ses nouvelles propositions, M. Sarkozy ira chercher ses exemples à l'étranger (le système fiscal allemand, le code du travail danois, la réussite de l'éducation nationale suédoise, la puissance du secteur banquier britannique, entre autres) afin d'opposer ces «pays qui avancent» à cette France trop repliée sur son passé qui stagne.

Il est certain que M. Strauss-Kahn est bien plus proche du milieu dans lequel évolue M. Sarkozy que de la France rurale. Né à Neuilly-sur-Seine d'un père conseiller juridique et fiscal et d'une mère journaliste, il a d'abord vécu au Maroc, avant que sa famille ne rejoigne Monaco puis Paris. Diplômé de HEC et de Sciences Po Paris, il a enseigné à l'ENA ainsi qu'à la prestigieuse université américaine de Stanford. Son parcours est indéniablement brillant, au point de le mener à la tête du FMI (avec le soutien de Nicolas Sarkozy qui y voit l'occasion d'éloigner un opposant dangereux pour lui), mais rend l'attaque de M. Jacob parfaitement crédible. Et ce n'est pas ses deux années en tant que maire de Sarcelles qui risqueraient de donner un sentiment inverse. Pour autant, il n'y a aucune raison que ce qui n'a pas été préjudiciable à M. Sarkozy le devienne pour M. Strauss-Kahn.

Reste à savoir si DSK est bien le meilleur candidat possible pour la gauche française et le PS en particulier. Au regard de la situation du parti actuellement c'est une possibilité. Aucune personnalité majeure, ayant la capacité de mettre le PS en ordre de bataille derrière lui ou elle, n'émerge à l'heure actuelle. Au contraire, les récents déclarés pour la course à l'investiture ne font que jouer sur la division interne à des fins personnelles. Que ce soit Manuel Valls ou Arnaud Montebourg, la «jeune» garde du parti n'a pas (encore?) les épaules pour un tel combat. Quant à Ségolène Royal, elle a largement démontré en 2007 ses limites dans une élection nationale. Pire, son attitude à l'issue du second tour, alors qu'elle était battue, n'incite pas à lui donner une seconde chance. Par opposition, du fait de son parcours précisément, DSK est quasiment le seul actuellement au PS, avec Martine Aubry, à avoir une vraie stature d'homme d'Etat, un atout non négligeable.

Mais Dominique Strauss-Kahn a sans doute lui aussi raté le coche. Alors que Nicolas Sarkozy s'inspire d'une politique de près de 30 ans (que ce soit celle de Ronald Reagan ou celle de Margaret Thatcher au Royaume-Uni), M. Strauss-Kahn rêve lui de devenir le Tony Blair français, en transformant le PS en une sorte de New Labour à la française. Dans sa réflexion Dominique Strauss-Kahn semble oublier les spécificités du Royaume-Uni post-Thatcher qui ont conduit non seulement la réflexion de Tony Blair dans le renouvellement du Labour mais également à sa victoire en 1997, après près de 20 années de règne conservateur. Mais surtout, il oublie de tenir compte des spécificités françaises par opposition au modèle anglo-saxon, spécificités qui l'amènent à défendre des idées qui, si elles sont de gauche au Royaume-Uni, sont en France défendues par la droite ou tout du moins le centre-droit. Le risque étant de «braconner» sur les terres du centre tout en s'éloignant de l'électorat de gauche, indispensable pour obtenir un bon score au premier tour. C'est avant tout cette erreur qui avait entraîné la débâcle de Lionel Jospin en 2002, une leçon à méditer.

Par ailleurs, la position au FMI, si elle lui a permis de se mettre en retrait de la vie politique française et en particulier de la bagarre interne au PS, l'a également tenu éloigné des grands sujets nationaux. Si bien entendu il les a suivis, on peut l'imaginer, avec intérêt, sa situation autant géographique qu'institutionnelle ne lui permettait pas de prendre position. Un bien si l'on considère qu'aujourd'hui il n'a pas été "sali" par les petites phrases trop fréquentes au PS, un mal à partir du moment où il n'a pas pu défendre ses thèses sur certains sujets au moment où ceux-ci étaient abordés, ce qui représente un manque de visibilité indéniable. C'est précisément ce que visait Nicolas Sarkozy en soutenant DSK dans sa course à la direction du FMI. Cette distance explique bien entendu en grande partie ses scores élevés dans les sondages (comme ceux que Jacques Delors en 1995 alors qu'il venait de quitter la tête de la Commission Européenne. A cette époque M. Delors avait décidé de ne pas se présenter, alors que tous les sondages le donnaient gagnant).

Enfin, plus qu'un homme politique, DSK est un économiste, gestionnaire mais certainement pas idéologue et encore moins capable d'anticipation. Or diriger un Etat ne se limite pas à gérer les dépenses et les recettes en fonction des réussites économiques du moment. Il ne s'agit pas non plus (ce qu'a eu tendance à oublier Nicolas Sarkozy) d'avoir une vision sur 5 ans, le temps d'une législature, mais bien une vision à long terme, qui nécessite précisément cette part d'idéologie nécessaire à la mise en place de toute politique. Tout simplement parce que l'idéologie a toujours été la base de la politique (les présidents de la Vème République en sont la preuve historique en ce qui concerne la France).

Plus que jamais, la France se retrouvera en 2012 à la croisée des chemins. Sur les 20 dernières années, aucun dirigeant, quelle que soit sa couleur politique, n'a su anticiper ni répondre aux défis qui se présentent au pays, et aux grandes transformations que celui-ci devra sans doute subir (qui sont loin d'être celles voulues par le président Sarkozy pour d'autres raisons). L'évolution rapide du contexte géo-politique ainsi qu'économique, les conditions de création d'un monde multipolaire (que la France appelle de ses voeux depuis le début des années 2000 sans jamais avoir su donner l'impulsion nécessaire à l'Union Européenne pour lui permettre d'y jouer un rôle) ainsi que l'évolution démographique de la population française sont des sujets importants auxquels un économiste n'est sans doute pas apte à répondre. Mais d'un autre côté existe-t-il quelqu'un actuellement dans le monde politique français qui en ait les capacités?

Publié dans Politique

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