La droite en phase de désintégration
L'UMP joue donc les prolongations. Après la publication des résultats par la désormais célèbre Cocoe, c'est au tour de la CNR de donner Jean-François Copé vainqueur, avec un écart de voix plus conséquent que les résultats initiaux. La raison : Les résultats de plusieurs bureaux de votes ont été annulés, pour cause d'irrégularité. Ces résultats ne sont bien entendu pas acceptés par François Fillon qui avait retiré toute légitimité à la Comission de Révision avant même qu'elle ne se réunisse. Le fait que les réserves prises en compte ne soient que celles émises par le camp Copé ne peut que renforcer son envie de passer à un autre stade, le stade judiciaire.
Ce n'est pas la première fois qu'un psychodrame du genre touche un parti politique français. En l'espèce, le congrès de Reims de 2008 du Parti Socialiste a été un bel exemple, avec une forte tension et une réelle opposition entre Ségolène Royal et Martine Aubry. Pour autant, même si Mme Royal n'avait pas hésité à parler de fraudes (en particulier dans les fédérations des Bouches du Rhône et du Nord), elle avait fini par accepter le résultat et la main tendue par Martine Aubry. Loin du scénario qui se joue actuellement à l'UMP.
Mais dans les deux cas de figure, il s'agit du même schéma : les ambitions personnelles prennent le dessus sur l'intérêt commun et chacun est prêt à risquer gros pour défendre ses ambitions. Il est d'ailleurs assez inquiétant de voir les deux principaux partis français connaître une phase quasi identique à moins de 5 ans d'intervalle. Dans les deux cas le signal envoyé est simple : les partis sont des instruments de conquête, leurs dirigeants sont plus obnubilés par la conquête du pouvoir que par le bien commun. Et la méfiance à l'égard du gouvernement socialiste en est une des conséquences, pas d'état de grâce pour François Hollande et Jean-Mars Ayrault, et l'impression diffuse que pour les deux grands partis, ce sont leurs dernières chances de montrer qu'ils sont à la hauteur qu'ils sont en train de griller.
Dans l'immédiat, c'est à droite que l'état de délabrement est, depuis une semaine, le plus poussé. Créé pour soutenir l'action gouvernementale après la réélection de Jacques Chirac, l'UMP fait pour la première fois de sa jeune histoire l'expérience de l'opposition. Et autant il est plus facile d'unir des groupes disparates lorsqu'il y a des postes de ministres à distribuer, autant cela devient plus compliqué lorsqu'il n'y a plus de carotte. Si l'on y ajoute le premier exercice de démocratie interne de la droite, l'effacement de sa personnalité majeure (Nicolas Sarkozy) après sa défaite aux élections ainsi que la personnalité des principales figures de la droite, la situation ne pouvait que se terminer de cette manière. Sans pour autant laisser envisager un seul instant que les choses puissent aller aussi loin.
La question qui se pose aujourd'hui est celle de la recomposition de la droite. Si pour l'heure certains militants semblent avoir décidé de quitter le navire pour rejoindre l'UDI de Jean-Louis Borloo ou le FN, il est fort à parier que cela ne préfigurera pas d'une vague à venir, dans un sens ou dans l'autre. On risque plus vraisemblablement de voir une « atomisation » de l'offre politique et un retour à la situation d'avant 2002, avec à l'époque le RPR, l'UDF et Démocratie Libérale (issue elle-même du Parti Républicain). La possibilité de voir apparaître dans les prochains jours un groupe parlementaire distinct de l'UMP et pro-Fillon renforce cette possibilité.
Pour autant, le processus sera long et douloureux. La bataille juridique qui semble s'engager risque de durer un certain temps, période pendant laquelle, malgré les efforts de Jean-François Copé de se comporter en leader de l'opposition dès maintenant, l'énergie de la droite sera fortement concentrée sur ses problèmes internes. La vague bleue espérée par le nouveau président de l'UMP risque de ne pas être pour 2014, la droite hypothéquant ses chances de paraître crédible alors qu'elle est empêtrée dans ce conflit interne. Les élections de 2017 sont quant à elles, heureusement pour la droite, suffisamment loin pour laisser les choses s'apaiser d'ici là.
Ce qui risque de compliquer encore les choses, c'est que la redistribution des cartes à droite va se faire jusqu'au sein de chaque groupe de soutien. On retrouve en effet des membres de la droite populaire autant dans les soutiens de Jean-François Copé que dans ceux de François Fillon. De l'autre côté, la branche centriste de l'UMP est également aussi présente autour de l'un que de l'autre. Seule la branche gaulliste est peut-être plus présente du côté de l'ancien Premier Ministre.
Dès Lors à quoi ressemblerait une droite recomposée ? Tout d'abord se pose la question de la place du Modem, qui semble hors course aujourd'hui mais qui pourrait très bien reprendre des forces demain. La lutte pour l'électorat centriste risque donc d'être âpre entre Modem et UDI. La réapparition d'un parti gaulliste, héritier du RPR est également envisageable, de même qu'une nouvelle Démocratie Libérale, regroupant sans doute une part non négligeable de l'aile «dure» de l'UMP. Dans cette nouvelle configuration un constat s'impose : la principale force d'opposition serait le Front National, qui sortirait grand vainqueur d'un éclatement de la droite dite républicaine.
Et pour la première, peut-être se retrouver en situation de mener une coalition à même de lui permettre de gouverner. Car si jusqu'au début des années 2000 même Démocratie Libérale, malgré les proximités idéologiques de certains de ses dirigeants avec les thèmes du FN, n'a jamais voulu rompre le «cordon sanitaire» dressé autour de l'extrême droite, il est possible d'envisager que ses héritiers d'aujourd'hui seraient beaucoup plus enclins à envisager une telle alliance, qui semble d'ailleurs attendue par une partie de l'électorat actuel de l'UMP.
Les prochains mois peuvent être passionnants. Et à plus long terme on peut s'attendre à ce que la recomposition qui pourrait toucher actuellement la droite puisse se propager à gauche. En effet, l'éternel question d'une alliance ou non avec le Centre peut avoir une incidence sur la cohésion du Parti Socialiste. La politique gouvernementale actuelle, clairement d'inspiration centriste, est de plus en plus difficile à assumer pour l'aile gauche du parti. Que se passera-t-il si une alliance avec François Bayrou est envisagée ? Nul ne le sait. Mais peut-être verra-t-on dans les prochaines années une composition assez semblable de celle existant durant la IVème République : Un Centre puissant allant du centre gauche au centre droit, un parti regroupant EELV avec les déçus d'un PS devenu centriste, un Front de Gauche héritier de l'ancien Parti Communiste et à droite une force post-gaulliste présente. Seule nuance : la présence d'une importante extrême droite. Difficile d'envisager dès lors des majorités claires. Les soubressauts actuels de l'UMP sont peut-être les signes avant-coureurs d'une instabilité politique à venir en France. Une aubaine pour les défenseurs d'une Vième République.