les Universités en grève

Publié le par Erwann


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            L’Université est une fois de plus en ébullition depuis plusieurs semaines maintenant. Le point de départ est la loi dite LRU, pour l’autonomie des Universités. Cette loi, dont le but premier est de réformer l’autonomie des Universités en cherchant des voies pour en augmenter les moyens, a été proposée et votée lors d’une cession extraordinaire de l’Assemblée Nationale pendant l’été, donc au cours des vacances étudiantes.
                Le maître mot du nouveau gouvernement depuis son instauration a été réforme, mais qui se fassent dans la concertation, avec des négociations pour obtenir un consensus avant de proposer ladite réforme. Dans l’ensemble il faut bien admettre que si l’idée de réforme est farouchement défendue en tentant de changer quasiment tout dans le fonctionnement du pays, et en particulier de l’Université donc, il semblerait que la phase de négociations ait été un peu mise de côté. Cet aspect des choses, associé au fait que la loi passe à un moment où il était matériellement impossible de s’organiser, a alimenté une méfiance encore plus importante la concernant.
                A partir de la rentrée la contestation a peu à peu grandit dans les Universités, d’abord dans les plus engagées telles que le Mirail à Toulouse ou Rennes II, puis peu à peu à travers tout le pays pour toucher à présent plus de la moitié des Universités françaises. Au point de pousser l’UNEF, le principal syndicat étudiant, à tenter de s’associer au mouvement puis de le récupérer dans le but de se relancer pour pouvoir négocier avec la Ministre, et à présent de vouloir s’en retirer.
                Le mouvement s’est assez rapidement durci, avec le blocage ou la tentative de blocage d’un certain nombre de campus. Bien entendu la grande question autour de la grève étudiante tourne autour de ce point précis. Bloquer ou ne pas bloquer les campus ? Les antiblocage avancent comme argument qu’une minorité n’est pas censée empêcher une majorité de suivre les cours et de préparer normalement leurs examens. Et dans cette même logique on peut parfaitement comprendre les craintes engendrées. Un certain nombre d’étudiants sont boursiers et ne peuvent se permettre de rater leur année, sous peine de perdre leur bourse.
                De l’autre côté les pro-blocage avancent également plusieurs arguments qui ne sont pas moins valables. Ils mettent d’abord en avant le fait de ne pas avoir d’autre moyen de pression pour réussir à se faire entendre. Ils avancent aussi le fait que les étudiants boursiers ne peuvent pas participer aux AG ou aux manifestations s’il n’y a pas blocage car s’ils ratent des cours leur bourse est suspendue. Enfin bloquer les facs est un moyen de réussir à attirer l’attention non seulement de la population estudiantine, qui est souvent apolitique et désintéressée de la majorité des sujets qui peuvent les toucher, mais aussi du reste de la population.
                Il est certain que l’argumentaire des deux côtés est parfaitement valable. La question est ensuite de savoir s’il faut voir le problème à court ou à long terme… Mais en parler a un avantage, c’est qu’il permet de passer sous silence les vraies raisons de la grève ainsi que les revendications. De ce point de vue il faut bien admettre qu’il est parfois difficile de savoir quelles sont ces revendications car le discours de la majorité des étudiants manque pour le moins de clarté.
                La loi pour l’autonomie des Universités présente plusieurs volets. Le premier concerne la répartition des pouvoirs à l’Université. Celle-ci est dirigée par un Président d’Université qui préside un conseil d’administration dont les étudiants sont représentés pour un tiers, avec les enseignants chercheurs et le reste du personnel.  La nouvelle répartition prévoit que le conseil d’administration sera restreint en nombre, diminuant du même coup la proportion des représentants étudiants. Dans le même temps des personnalités extérieures viendront prendre part au conseil d’administration, personnalités nommées par le Président d’Université. Le Président disposera par ailleurs de pouvoirs plus importants, ayant la possibilité de recruter du personnel et des professeurs à tous les niveaux. Ces choix ont une importance stratégique car ils centralisent le pouvoir de décision dans les mains d’une seule personne au lieu de les faire découler d’un débat auquel prenaient part chaque composante de la vie universitaire.
                Le deuxième volet concerne le domaine financier. On le sait c’est l’un des points les plus négatifs concernant les Universités, celles-ci manquent cruellement d’argent. A l’heure actuelle un étudiant du supérieur coûte moins cher à l’Etat qu’un collégien et plus de dix fois moins qu’un étudiant d’une grande école. Pourtant un certain nombre de filières ne peuvent se faire ailleurs qu’à l’Université et celle-ci, malgré des moyens plus de réduits, obtient d’excellents résultats. La solution proposée par la loi pour augmenter les fonds des Universités est de permettre à celles-ci de créer des fondations qui pourraient leur permettre de recevoir des dons de la part de particuliers ou d’entreprises, sur le modèle de ce qui se fait déjà dans les pays anglo-saxons, où les Universités sont majoritairement privées. La conséquence d’une telle décision, et l’une des peurs des étudiants, serait de créer un enseignement universitaire français à deux vitesses, avec d’une part les Universités telles que Paris I-Panthéon Sorbonne ou Paris IV-Sorbonne et les grandes écoles, qui amasseraient la majorité des dons, et de l’autre les petites universités de banlieue ou de province. Cette crainte a été parfaitement illustrée il y a peu par une lettre envoyée par le Président de Science Po Paris à ses anciens élèves pour commencer à récolter des fonds en mettant en avant pourquoi il fallait choisir son établissement plutôt qu’un autre.
                Le troisième volet concerne le partenariat Université-entreprises dans le cadre du financement de la recherche et de l’enseignement des filières. Le but est d’associer les entreprises à l’enseignement supérieur et de créer un lien entre le monde « théorique » de l’Université et celui « pratique » de l’entreprise. On oublie au passage que la grande majorité des étudiants connaissent le monde de l’entreprise, soit au travers des stages qu’ils font dans le cadre de leurs études, soit tout simplement par le travail qu’ils sont obligés de faire en parallèle pour continuer à financer leurs études. Cette proposition comporte de plus un risque réel de voir un certain nombre de filières ne pas trouver de financement de la part des entreprises tout simplement parce que leurs enseignements ne seront pas rentables pour celles-ci. On imagine mal en effet des entreprises investir dans l’Histoire de l’Art ou la Littérature Italienne quand ils pourront mettre de l’argent dans la biophysique ou la biologie moléculaire. Le risque est de voir à terme certaines de ces filières, qui sont principalement du domaine des Sciences Humaines, tout simplement disparaître, malgré la promesse du Gouvernement de continuer à les financer. Ces craintes sont d’ailleurs partagées par un certain nombre d’enseignants-chercheurs.
                A titre personnel je me sens particulièrement concerné par le dernier volet. Je suis en effet étudiant en Archéologie à l’Université Paris IV-Sorbonne et, si je n’ai pas trop de crainte quant à la capacité de mon Université à trouver des financements privés, entreprises ou dons, je crains plus pour ma filière qui n’est pas vraiment le genre de filière économiquement viable. A l’exception éventuelle du marché de l’Art et des musées, mais ça reste tout de même relativement réduit et de toute façon très contrôlé et limité, fort heureusement.
                Il va de soit qu’une réforme profonde de l’Enseignement Supérieur est nécessaire, mais il doit se faire avant tout dans le respect des étudiants, et dans la revalorisation des filières professionnelles, qui ont été pendant très longtemps considérées comme des voies par défaut. Aujourd’hui le constat global est que l’Université récupère les indécis et qu’elle produit un taux d’échec extrêmement important au niveau de la Licence. Contrairement à l’idée qu’on peut en avoir l’Université n’est pas facile car elle nécessite une discipline que la grande majorité des jeunes sortant du lycée, où ils étaient extrêmement encadrés dans l’ensemble, n’ont pas ou peu.
                Revaloriser l’Université passe aussi par le fait d’augmenter les moyens mis par l’Etat dans son financement. A long terme cette politique s’avèrerait bien plus profitable pour l’économie nationale que tous les paquets fiscaux cadeaux qui pourront être fait. Si les 15milliards d’euros d’abattement fiscaux pour les revenus les plus élevés avaient été consacrés ne serait-ce que pour le tiers à l’Université la différence de résultat serait notable. De plus quoique l’on puisse en dire un financement par l’Etat est la garantie de laisser l’Université accessible aux revenus les plus modestes et du même coup de ne pas bloquer un nouveau moyen de faire marcher le célèbre ascenseur social. Bien entendu l’Etat a communiqué sur le fait d’augmenter le budget de l’enseignement supérieur cette année et les prochaines, seulement il s’agit pour une grande majorité de combler le retard de paiement de la part de celui-ci à l’égard des Universités, et en aucun cas de nouveaux moyens débloqués.
                Augmenter la capacité de réussite des Universités passe aussi par une réflexion profonde quant aux conditions de vie des étudiants. Il s’agit de leur donner les moyens de se loger décemment à faible prix mais aussi de leur donner les moyens de vivre tout simplement. De nombreuses études sur les conditions de vie chez les étudiants ont démontré qu’un certain nombre d’entre eux étaient sous le seuil de pauvreté et/ou contraints de travailler pour pouvoir continuer d’avoir les moyens d’étudier. Or le travail en parallèle est l’une des principales causes d’abandon en cours d’année et d’échec aux examens.
                Contrairement à l’idée qui est de plus en plus développée, l’Université française est l’une des meilleures au Monde. Une étude internationale démontrait d’ailleurs qu’elle avait le meilleur ratio moyens-résultats de tous les pays industrialisés. Elle exporte aussi énormément de talents de par le Monde, aussi bien dans le domaine des sciences que des sciences humaines ou de l’économie. Elle offre de plus de vraies passerelles vers le monde de l’entreprise, en proposant notamment énormément de stages, économiquement très intéressant pour les entreprises. Enfin un certain nombre de ses enseignants sont reconnus à travers le Monde pour leur qualité dans leur domaine de compétence. La nouvelle mode de classement des universités a tendance à donner le sentiment que les Universités françaises ne font pas le poids, mais comment comparer le célèbre Massachussetts Institute of Technology, axé sur les sciences et riche à millions, et l’Université Rennes II par exemple, principalement spécialisée dans les sciences humaines ? Les filières sont différentes, les modes d’enseignement le sont tout autant, ainsi que les moyens et les objectifs.
 Il ne faut enfin pas perdre de vue que l’Université, même si elle participe activement à la Recherche, a pour but premier de former les futures générations qui feront marcher quasiment tous les rouages de l’économie, et que, pour cette raison, il est de la responsabilité de l’Etat de lui donner les moyens d’assurer cette fonction tout en permettant à tous d’y accéder.

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